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qui me venait du sentiment de ma vie libre. Voilà, oui, je n’étais plus le même homme mou et vain qu’autrefois ; j’avais la conscience qu’un homme, en regardant fixement la terre, en fait sortir les choses qui sont nécessaires à son existence. Il y a l’eau et l’argile, il y a les fruits de l’été, il y a le caillou pour le feu ; et l’humble ortie donne le fil ; la toison des bêtes suffit à préserver du froid ; et notre vie est dans nos mains. Un être humain qui pense fermement ainsi ressent une grande force comme si, ne s’en rapportant plus qu’à soi-même, il lui venait un sens nouveau de la dignité et de la beauté.

Je m’en allai vers la forêt ; je suivis le cours du ruisseau, et, toujours longeant l’eau, je descendis dans la plaine. Je marchai ainsi près de trois jours, rentrant à la nuit et disant à Ève : « Je ne sais pas ce que je cherche, mais il y a quelqu’un au fond de moi qui le sait bien et me conduit. » De nouveau je partis au matin et c’était le quatrième jour. Je me dirigeai vers l’ouest ; je frappais la terre avec un bâton ; j’étais sans colère et sans