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comblé comme un roi après une expédition.

Ô Ève ! Ève ! entends résonner mon pas dans les ombres ! Vois venir l’ouvrier sublime qui remue les tonnerres de la forge ! Le vent porta jusqu’au seuil cette clameur orgueilleuse ; et Ève à petits pas de chevreau accourut, pleurant et disant : « Où t’attardas-tu si longtemps, cher homme ? Vois, mes seins sont gonflés d’amour et c’est le quatrième jour. Ne m’appartiens-tu plus déjà ? » Sa tendre tyrannie ainsi gémissait ; mais moi, jetant bas ma charge, je lui dis en riant : « Réjouis-toi plutôt, car ceci est le marteau et la cognée et la truelle avec lesquels j’abattrai les arbres et referai la maison. » La terre gronda sous l’avalanche et je la regardais, très grand sous ma barbe. « Homme simple ! cria-t-elle, as-tu perdu la tête ? Ce ne sont là que des cailloux grossiers ! » Je soufflai sur ses yeux et lui dis gravement : « Vois, ici sera la forge, ici s’élèvera le four et là-bas je construirai l’étable. » Et puis, l’ayant appuyée à mon épaule et écoutant battre en nous la vie, ensemble nous marchâmes vers la maison. Misère et Famine allaient devant en jappant.