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Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/18

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certain qu’elle dût venir. Et je n’étais plus seul. Une vie fraîche bruissait dans les chambres ; un rire s’égouttait par l’escalier comme une eau. Quelquefois je restais longtemps à écouter un pas qui venait du bois. Oh ! la maison n’était pas gaie : c’était plutôt la maison d’un vieil homme comme on voit dans les légendes. Je taillai de jeunes sapins ; je les pelai ; je les aboutai dans les lézardes du toit. Le soir tomba sur ma lassitude heureuse. Mes mains jamais encore n’avaient travaillé ; avec volupté elles s’étaient enfoncées dans des chevelures de femmes et des fourrures de bêtes. Elles n’avaient pas accompli l’œuvre de la vie.

À pointe d’aube j’allai dans la forêt. Je n’aurais pu dire quelle force me mena si matinalement sous les arbres. Un duvet d’ombre ouatait le sommeil des fougères ; la sente humide lignait le bord des taillis ; et ma barbe était toute mouillée de rosée. Le vent n’était pas encore levé ; un silence immobilisait la pâleur des saules et des bouleaux. Moi, j’étais l’époux de la terre, celui qui vient à l’heure nuptiale par le chemin du jour levant.