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éclaire. Quand elle ouvre la main, le ciel s’aperçoit entre ses doigts. Les silences d’Ève étaient des jardins d’âme. Je passais et il y avait une fleur nouvelle à la pointe des rameaux.

Ève et moi vivions dans le lait même de la nature. Celle-ci nous baignait comme les algues et les poissons dans les grasses eaux vitales de la mer. Mais Ève, avec ses mamelles pareilles à la terre, était bien plus près que moi du mystère. L’aube chaque jour emplissait de fruits divins ses corbeilles. Ses sens primitifs et vierges, vibrants comme les duvets légers de sa nuque, la mettaient en correspondance avec le monde. Le jus d’une framboise, en fondant à sa bouche, la rafraîchissait d’intimes et spirituelles délices. Quand elle passait les doigts sur les feuilles brillantes ou qu’elle caressait la chair nue d’Abel et d’Héli, elle était belle et émouvante comme l’allégorie de la volupté. La mélodie des oiseaux l’éveillait à d’aimables analogies. Elle me disait : « Entends la fauvette babiller avec le ruisseau, n’est-ce pas