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ADAM ET É-VE

Ce clair esprit d’Ève ne cessait pas d’être simple. Elle gardait la grâce délicieuse et le don d’enfance. Elle eut toujours les sens candides et émerveillés de la femme qui ramène toute chose à la mesure humaine, étant elle-même la source vive de l’humanité. La vie était pour moi une chose concrète et définie ; je n’éprouyais pas le besoin de lui chercher un symbole ni une autre forme plus parfaite qu’elle. Mais Ève, elle, allaitait la na­ ture avec son lait de jeune mère restée aux origines, toute fraîche de la jeune sève des races. Tandis que je voyais Dieu dans le brin d’herbe et dans le chêne sonore, elle tournait les yeux vers le ciel. « O Adam, disait-elle, il est là-haut. Il a ta barbe et il a les yeux d’Abel et d’Héli » Moi je lui répondais : « Je prends ce caillou, petite Ève. Je le frappe avec un au­ tre caillou, et regarde : j’en fais sortir Dieu. Il n’est pas plus grand dans la foudre qui déchire le ciel que dans cette petite étincelle qui te sert à faire le feu. » Alors elle secouait la tête et me disait avec son petit rire de chèvre : « Comment, serait-il, lui si grand, dans cette chose si petite ? »


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