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Des mois s’écoulèrent ; nous parlions quelquefois de celui qui était parti. Ève me dit : « Sois sûr qu’il reviendra. » Je ne savais pas pourquoi elle me disait cela. Le bois était si éloigné des maisons qu’il me paraissait plutôt naturel qu’il passât son chemin sans retourner la tête. Or, comme elle l’avait pensé, l’homme un matin revint. C’était le printemps. Les mères du troupeau avaient mis bas leurs portées. Des agneaux bondissaient vers la jeune herbe fleurie. Il sembla qu’un attrait mystérieux l’eût ramené. Il me serra les mains avec une fraternité émue. Ses yeux étaient humides. Il me dit : « Je suis venu. Il y a ici une odeur de vie loyale qui me fait du bien. J’arrive de la mer ; j’ai quitté un grand port ; nous avons avec les miens creusé des canaux nouveaux. En travaillant, je croyais revoir vos clairs visages. Je n’ai pas autre chose à vous dire. » Il souriait et comme l’autre fois je le conviai à s’asseoir à notre table. Il ne regardait plus Ève avec les mêmes prunelles tranquilles. Et ce jour-là, Ève n’a pas ouvert son corsage devant l’étranger ; elle s’est dé-