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de la terre une ivresse qui me grisait comme le moût des cuves. Un peu de temps je m’amusai à secouer la rosée des feuilles. Je baissais la tête et la bouche tendue, je buvais les gouttes brillantes ; il m’en tombait aussi dans les cheveux et les yeux.

Je m’en allai, la main ouverte devant moi, comme un vieux saint dans un lieu plein d’arbres et d’animaux. Et quelquefois j’écoutais, tous mes sens tendus avec une subtilité inouïe. C’était comme si par mes artères, par les profonds canaux de mon être je communiquais avec les courants de la terre. Elle entrait en moi, j’étais moi-même comme un chêne ou une herbe en qui passe le grand torrent et devant la vie il n’y a pas de différence entre l’herbe et le chêne. Mais tout à coup j’eus le sentiment que, malgré cette sensation déliée, je traînais après moi un vieil homme et que justement c’était cette ancienne humanité routinière qu’il m’était commandé de dépouiller. Mon Dieu, c’était là une idée qui ne serait venue à aucun autre homme vivant parmi les hommes. Mais la solitude avec une