Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stance comme un fleuve ruisselait en moi, vertigineuse.

Mes lèvres collées à l’écorce, je baisais comme un sacrement l’arbre vénérable. Et alors du cœur profond des sèves, du bruissement des mouches et des feuilles il me parut qu’une voix sortait et me disait : « C’est bien moi et toute chose est une part de ma présence infinie. » J’étais là nu et adorant comme l’homme jeune des temps.

Et ce fut le premier jour de conscience, tous les autres jours dérivèrent de celui-là, comme, quand commence à tourner le van, une petite paille d’or d’abord vole et les autres ensuite tourbillonnent. Je m’étendis au pied du chêne, je me couchai parmi la mousse, dans le matin. Mes yeux n’avaient point contemplé encore un aussi merveilleux paysage. Une couleuvre ondula de dessous une grosse pierre et je la pris dans mes mains. Je la coulai au chaud de ma poitrine. Des insectes montèrent le long de mes cuisses ; il me tomba des plumes de jeunes couvées dans les cheveux. Ève ! Ève ! Ève ! Pourquoi tardes-tu de l’autre côté