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ici je te consacre ces baies pourprées. » Elle me répondit : « Voici mes lèvres et ma vie. » Elle ne dit pas autre chose. Nous étions émus et graves en échangeant ces mutuelles dédicaces, simples et belles selon la nature. Et puis de nouveau elle se pressa contre moi, avec son regard malade, et elle me dit : « Cher homme, s’il est quelque chose que j’ignore encore, enseigne-le moi afin qu’aucun homme ne vienne plus après toi. » Je vis ainsi qu’elle était vraiment vierge, car je l’avais d’abord baisée sur les lèvres, je lui avais pris ensuite les genoux et puis ses petites mamelles, et elle ne savait pas le sacrifice sublime. Vois, Ève, je suis cet homme violent qui tua les bêtes et qui aima les courtisanes ; et maintenant mes mains faiblement tremblent au bord de ta robe.

Je la poussai et sentant à son visage le souffle ardent de mes narines, elle gémit : « Combien tu m’apparais terrible ! » J’étais la joie sauvage du lion, j’étais la noire fureur brandie de l’homme monté des déserts vers les chaudes femelles des tribus. J’avais les