Page:Lemonnier - Ceux de la glèbe, 1889.djvu/170

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champ pour une somme qui s’absorba dans le gouffre rapidement, sans le combler. Et d’autre part, la Joanne avait vendu une terre au bout du village, louée à un journalier de la campagne. Toutes deux traînaient leurs jours dans la crasse et le délabrement, l’une par avarice, l’autre par misère véritable, se repaissant de rebuts, pour tromper la faim qui leur tordait le ventre. Et souvent la Colasse était aperçue gueusant en haillons sur la grand’route ou ramassant des légumes pourris derrière les haies. Mais dans la ruine de leur personne matérielle, une autre personne, impérissable, celle-là, se gonflait d’aliments puissants, qui la soutenaient mieux que des nourritures. Maintenant chaque matin, elles marchaient l’une au devant de l’autre, se reprochant mutuellement, avec d’aigres huées, la mort de leurs mâles. Et devenues très vieilles toutes deux, toujours elles continuaient à répandre, chacune sur le seuil de l’autre, leurs stercoraires, comme le résidu que laissait aller leur haine en fermentation.