Page:Lemonnier - Ceux de la glèbe, 1889.djvu/40

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aussi, à la sueur de ses membres, un lopin de cette terre maternelle qui nourrissait autour de lui les familles.

Au dernier automne, par un froid brouillard d’octobre, il avait mis pour la première fois le talon dans son champ, ayant employé ce dimanche-là à régler avec le Gosau, le boucher, propriétaire du fonds. On avait bu ensemble huit chopes, il avait signé d’une croix l’acte de vente, ne sachant pas écrire, et l’après-midi, il était venu là en maître, à son tour, le cœur gonflé d’une grosse joie tranquille, trop grande pour parler. Jusqu’à la nuit il était demeuré dans les humidités de l’air et du sol, marchant à petits pas, en long et en large, dans une prise de possession lente, point encore habitué à l’idée que cette chose qu’il foulait était à lui, qu’il allait fouir dans ce bout de lande une graine qui germerait pour lui seul, comme une autre femme qu’il aurait prise pour l’engraisser aussi de sa semence. Et la semaine suivante, il avait emménagé, il avait quitté la masure délabrée dans laquelle de-