Page:Lemonnier - Félicien Rops, l’homme et l’artiste.djvu/167

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tentation de saint Antoine, mais d’un saint Antoine de la belle couleur maniée d’une volupté de péché. Ce furent des blondeurs de pastel sur des dessous légers de crayon, des matités de gouache et d’aquarelle s’égalant presque à la fraîcheur d’une miniature et, au total, l’illusion d’un espalier de roses vives, gouttes du sang divin transfiguré et devenu, aux bras de la croix, le sang et le rire de la chair en folie. Quand plus tard il fera sa Crucifiée, basse des reins et comme une grande chauve-souris, déployant de toute la largeur du patibulaire les ailes d’une mantille, il lui donnera une force souple et ramassée, mais dénuée de la glorieuse plastique de sa Madeleine irrepentie de la Tentation.

De là-bas cependant, de ce Paris de toutes les tentations de l’art, de la gloire et de la vie, Rops ne demeurait point sourd aux sirènes de la contrée natale. Chaque année il arrivait, vers l’automne, demander au fleuve et à la montagne une trêve aux agitations de la vie parisienne. Il y retrouvait sa jeunesse, le souvenir des compagnies joyeuses et son vieil amour charmé de peintre-paysan pour le grand air de Meuse qu’il aimait entre tous. Le sac au dos et le bâton à la main, il s’en revenait alors, du pas de sa quarantaine, par les routes aimées qui le menaient à la Lesse. C’était chaque fois le beau départ, le départ heureux comme d’un Jason cinglant vers un mirage de Colchides. Aussitôt atterri, il portait la main à son cœur et le sentant battre sous ses doigts comme aux heures jeunes, il pouvait s’illusionner de l’espoir que la vieillesse ne viendrait jamais.