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Et il ajoutait : « Si jamais tu vieillissais, je prendrais des amis plus jeunes que toi et t’abandonnerais. » Parfois il lui écrivait : « J’ai le désir de voir ta bonne figure calme. Viens passer un jour. » Et il le gardait deux semaines.

Son cœur lui valut de sûres et durables affections, modelées sur celles où il se donnait lui-même. Cependant elles ne lui suffisaient pas toujours. Par un don et un besoin d’illusion, il s’était créé un monde d’amitiés chimériques et qui demeurèrent après lui, comme des formes vivantes, quand elles n’étaient que le brillant mensonge de la plus active imagination.

Les lettres qu’il écrit à tous ces amis, fictifs ou réels, sont le calendrier vivant à travers lequel on peut le suivre et dont les dates sont pour lui marquées de croix blanches ou noires. Quand c’est le tour des croix noires, le masque lui tombe des joues et parfois on a l’impression d’une amertume profonde. Ses périodes de découragement, d’ailleurs, sont nombreuses. La vieille gaîté, celle de la « Battle for the life », comme il disait si joyeusement à Liesse, alors l’abandonne. Il a le sentiment qu’il n’a rien fait et que peut-être il ne fera jamais rien. « Je suis une brute. Il faut que je me renouvelle entièrement ou je suis fichu. Besoin de changement de carapace, comme les crustacés… Il va falloir encore chercher, lutter pour tâcher de bien faire, et rien n’arrivera encore. » (En 1884).

Il a relu les lettres de Flaubert et il s’écrie : « J’ai passé par tout cela et je connais, plus qu’artiste au monde, ces affres et ces colletages avec les fœtus monstrueux des créations qui ne peuvent prendre vie. »

Et ce cri admirable : « Je ne sais ce qui adviendra de moi, et de cette œuvre ratée qui est mienne. Mais je sais que je suis une probité artistique et que, même en faisant mal, j’ai essayé de faire bien. »

En 1886, il se plaint à l’ami fidèle, à Fr. Taelemans. « J’ai été éprouvé