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et va jusqu’aux larmes : il pense à l’amitié, au passé, aux torts qu’il eut parfois envers les autres. Il parle souvent de sa famille, de celle aussi qui est sous la terre, « la brave et honnête famille de sa mère qu’il aimait mieux que tout. » C’est toute une humanité séculaire qui se réveille autour de lui. « Bonnes gens, nobles et grands caractères dans leur simplicité et dont les bonnes figures me restent dans l’esprit et dans le cœur. »

Il aspire à vivre dix ans encore. « Il me faut ces dix ans pour mettre en lumière les belles imaginations que je sens danser en ma cervelle. Je travaille trop. Serait-ce comme un pressentiment de ma fin prochaine ? » C’est le cri de tous les grands intellectuels, et il lutte, il se ramasse. « Je n’ai pas la croyance à une complète guérison, car je me sens atteint aux sources mêmes de la vie, mais je pense, qui sait ? Vivre encore quelque temps peut-être, et, en me soignant bien, prolonger cette vie à laquelle je demande encore la possibilité de faire quelque œuvre méritante. »

En 1892, il lui survient un accident ; il écrit à Liesse : « Tu sais que je n’aime pas à geindre, mais j’ai passé un mois et demi atroce… J’ai cru perdre la vue. En gravant, je me suis flanqué du bichlorate de potasse dans l’œil et, sans Camuset, je crois que je devenais aveugle comme Homère, car je ne voyais plus rien de l’un ou de l’autre œil, ce qui me paraît remplir les conditions d’une bonne cécité… Enfin cela est parti : j’ai pu revoir les beaux verts bouleaux des grands rochers à Montigny. »

Il se remet au travail ; il grave deux frontispices, celui des Baisers morts pour le livre de Verola qui « a failli me donner à nouveau une congestion à l’œil », et l’autre pour la plaquette de Jean de Tinan, Un document sur l’impuissance d’aimer. Et puis ce sera tout : l’outil à jamais lui tombera de la main.