Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/107

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— Laissez donc, monsieur Adolphe, je ferai l’article pour vous.

Il attira un paquet, en détacha quelques pièces qu’il étala devant Clarinette, chuchotant ;

— Voici ce qu’il vous faut. C’est un peu plus cher, mais c’est inusable : je vous en réponds. Et avec moi, vous savez, c’est de confiance.

Puis, sans lui laisser le temps de placer un mot :

— Dites donc, monsieur Adolphe, emballez.

Son geste décidé et doux la subjuguait ; elle n’osa pas dire non ; et tandis que le commis les suivait avec les paquets, il lui montrait d’autres articles, clignant par moments de l’œil du côté des rayons où les vendeurs souriaient, tout blêmes dans la lumière des globes. Mais cette fois elle en avait assez, inquiète du total de ses achats et ne sachant si elle pourrait les payer. Il finit par leur offrir à toutes deux une consommation, dans une taverne voisine, desservie par des femmes, à l’instar des brasseries allemandes, un succès de curiosité qui attirait toute la ville. Le temps de terminer une affaire au comptoir des toiles, et il les rejoignait devant les magasins, sur le trottoir où il les pria de l’attendre un moment.

Elles passèrent à la caisse. Le comptable, assis dans une petite cage près de l’entrée, inscrivit à son livre les achats sous la dictée de M. Adolphe. Et Clarinette, son porte-monnaie à la main, se sentit prise d’un battement de cœur.

— Vingt-six francs trente et un centimes ! fit l’employé en relevant la tête.

Elle n’avait qu’un louis ; mais Philomène, qui avait touché chez le taillandier une cinquantaine de francs, reliquat d’une dette ancienne, lui avança le reste du compte.

Dehors, Clarinette respira ; elle avait le feu aux tempes, toute mouillée de sueur entre les omoplates. Maintenant qu’elle était sortie de cette fournaise où les écus fondaient comme de la neige au soleil, il lui semblait qu’avec de l’argent, elle y serait restée bien une journée entière, à remuer les étoffes et fouiller dans les tas.