Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/131

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venger de l’avoir attendue. Elle eut une secousse, vraie ou feinte, s’élança vers la cuisine en appelant : Mélie ! mais sur le seuil fut arrêtée par Huriaux qui doucement lui dit :

— Il a raison Gaudot ! Y avait pu d’vie, pu d’souffle, pu rien ! Comme qui dirait tout fini ! Puis, c’est revenu comme c’était parti. À c’t’heure é dort.

— Les dents, pour sûr ! conclut-elle philosophiquement.

Elle s’était rassise, consolée par cette explication, promenait les yeux à la ronde en demandant si personne ne lui payait une consommation ; et comme aucun ne répondait, elle lâcha cette bourrade, l’œil pointé sur Gaudot :

— Des sans-le-sou-bourse-à-sec ! C’est pas comme les môssieu de la ville ! Ah ben non !

Elle leur dit qu’elle avait vu M. Ginginet aux magasins du Bon Marché, tandis qu’elle était là à faire des emplettes : il lui avait promis de venir en bande, une douzaine au moins, pour l’achalander.

— Comment qu’ça s’dit, Gingi… quoi ? fit Gaudot pour la taquiner.

— M’sieu Ginginet. Un homme chic qu’a des bagues à ses doigts et qui fait dans les toiles !

— C’est du pas grand’chose, si c’est celui que j’pense, reprit Gaudot après un instant.

— Qui que tu penses ?

— L’rouleur à Malchair, tiens donc !

Une risée s’éleva de la table, et elle fut obligée de le défendre.

C’était vrai d’ailleurs qu’elle l’avait rencontré, mais à la Patte de Dindon, une vieille hôtellerie du faubourg, où le voyageur descendait et dont il lui avait coulé l’adresse à l’oreille, l’autre fois, au moment de l’embarquer dans le train. Elle y était allée à tout hasard et l’avait trouvé attablé devant une truite qu’il dépeçait délicatement en lapant un verre de vin blanc.

— Tiens, madame Huriaux, quelle aubaine !

Il l’avait contrainte à vider à deux une bouteille. En causant, tout aise de vanité, elle lui avait annoncé son installation, le petit café, la bonne bière qu’ils avaient en cave, l’affluence de la