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bonne heure, des clients comme le voyageur à Malchair ! Avec lui seul, en une soirée, on ramassait le gain de toute une semaine des autres. Et pour un peu, elle fût descendue à la rue, leur eût crié des injures.



XVI



Dans les commencements. Clarinette avait assez bien supporté la désertion de Gaudot et de sa clique. Son amour-propre se cabrait à l’idée d’un dommage sérieux, résulté de ce lâchage général. Du haut de sa tête, elle avait déclaré à qui voulait l’entendre qu’elle se souciait de la clientèle de la jeunesse du Culot comme un chat d’une maronne. Au fond, elle croyait à une bouderie momentanée, se berçait de l’espérance d’une réconciliation. Puis, sa liaison avec Ginginet lui ayant donné l’orgueil de son corps, elle pensait vaguement à s’en servir quelque jour comme d’un enjeu de raccommodement irrésistible. Gaudot reconquis et maté, tous les autres lui emboîteraient le pas, et la Réunion des fanfares, du coup se trouverait renflouée. Elle n’était plus éloignée d’admettre qu’une femme, même mariée, mît son sexe dans la circulation, ainsi qu’une marchandise courante dont le rapport s’ajoutait naturellement aux autres gains d’un commerce.

Au bout de trois semaines, Gaudot n’apparaissant toujours pas, sa superbe tourna au dépit. C’était inutilement qu’elle s’astiquait chaque soir, s’asseyait dans le rayon de la lampe, les fenêtres ouvertes pour être vue de chez Patraque. Les flambarts tablés à La Marcotte ne tournaient même plus la tête de son côté. Quelquefois ils étaient là en si grand nombre que le café semblait trop petit, et leurs rires, leurs parlotes, leurs calembredaines battaient les plafonds jusqu’avant dans la nuit. Tandis que Huriaux soufflait sa lampe au coup de dix heures, de l’autre côté de la rue on veillait