Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/179

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Toute cette floppée semblait avoir hérité de la mère la boulimie qui perpétuellement leur rongeait l’estomac. La marâtre nature avait mis en ces affamés, que la sueur du chef de famille sustentait à grand’peine de croûtes et de rogatons, la formidable gourmandise des ogres ; leur gésier était pareil au gueulard des hauts fourneaux où des montagnes de minerai et de coke s’entassent sans jamais le remplir ; et maigres comme des loups, hâves, en haillons, ils traînaient l’ironie de cet appétit monstrueux que rien ne gavait. L’aîné, Clodomir, avait dix-huit ans. Issu d’une gésine mortelle, le forceps l’avait à demi massacré. La tête déprimée, bancroche, trottant à l’aide de béquillons, Panpan, comme on l’appelait avait langui jusqu’à la dixième année, chétif, rabougri, toujours vagissant, avec une mine de petit singe rachitique. Puis tout à coup il s’était mis à pousser ; ses anguleuses épaules avaient pris de l’ampleur ; une dérision de santé vigoureuse s’était entée sur cette carcasse misérable qui, comme un saule pourri du pied, se reprenait à verdir par le haut. On l’avait alors envoyé à l’école ; mais toute la bonne volonté du maître avait échoué sur cet esprit revêche, par les trous duquel les choses et les mots passaient comme à travers un crible.