Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/20

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s’papa capot et bréait comme une trouie. Faut croire qu’é vaut mieux qu’à c’qu’on dit.

Huriaux n’en entendit pas davantage, le reste de l’entretien s’étant perdu dans le fracas des cylindres toupillant. Mais il en savait assez pour juger de l’impression favorable que la peine de Clarinette avait faite sur les camarades. Il reprit un des ringards frais qui trempaient dans le baquet d’eau, l’enfonça dans le braséement du four, et en même temps il songeait à cette mort possible du vieux Lerminia, qui amènerait un si grand changement dans la condition de la Rinette.

Il y avait près de quinze mois qu’un soir, après la journée de travail, passant à deux le long d’un champ de blé, ils s’étaient oubliés dans l’odeur de la terre en fermentation, étourdis par le coup de sang d’un mutuel désir ; et depuis, ils avaient continué à se voir, sans grand amour, mais petit à petit liés par un commerce d’habitude. Il eût préféré pour sa part la vie à deux comme ils l’avaient connue jusqu’alors ; on s’appartient et pourtant on est libre ; puis le jour où c’est fini, où on ne se convient plus, bonsoir ! on se quitte sans que personne ait rien à y dire et on recommence ailleurs. Seulement, le père mort, un instinct de droiture l’avertissait d’une responsabilité. C’était lui qui l’avait débauchée ; pour tout le monde il était son galant ; si elle se perdait, ce serait par sa faute. Et un peu assombri par ces idées, il se raisonna : le vieux ne claquerait pas encore du coup, qui sait ? Et s’il claquait, il serait toujours temps de voir.

Autour de lui, l’atelier, comme une chaudière lâchant la vapeur, exhalait ses grondements assoupis dans les flammes déclinantes du soir. De la ligne des fours sortaient des haleines moins ardentes ; les laminoirs tourbillonnaient à vide, dans la pénombre poudreuse des travées, où les loupes avaient cessé de tracer leurs flamboyantes paraboles ; et de minute en minute, un engourdissement plus grand fléchissait les attitudes, semblait gagner les machines, tombait à travers les atmosphères froidies. On touchait à cette heure de détente qui accompagne le départ des foules du jour et précède l’entrée dans la fournaise des brigades de nuit. Des poitrines nues se plongeaient dans l’eau des baquets, toutes grasses de sueurs,