Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/224

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pénétra dans le bureau de Poncelet et lui dit son intention d’exiger dans la plus large mesure l’application du règlement relatif aux pensions pour les infirmes, les veuves et les orphelins. Mais tout de suite le gérant s’exclama :

— Vous n’y pensez pas ! Et nos pertes d’argent ? Et nos frais de reconstruction ? Et le chômage ? C’est par centaines de mille qu’il faudra compter.

Marescot se mit en boule, superbe de dédain pour ces malheurs de la caisse, et d’un coup d’épaule, laissa tomber ce mot :

— Et quand ce serait par millions, môssieu ?

Poncelet était habitué aux boutades du Crésus ; mais devant cette énormité, il prit le parti de rire, ne jugeant pas qu’il convînt de répondre sérieusement à une pareille plaisanterie. Il était prodigieux, le Marescot, avec ses millions ! On n’aurait plus eu qu’à fermer les portes en attendant qu’une autre Société reprît les affaires. Alors l’ex-charbonnier lui réitéra l’ordre donné à Jamioul d’avoir à prélever sur son dividende les cinq mille francs, et il ajouta qu’il chargeait l’ingénieur du soin de la répartition.

— Comme vous voudrez ! répondit Poncelet, redevenu froid. Vous êtes évidemment le maître d’employer votre argent à ce qu’il vous plaît. Ce ne sont pas mes affaires. Mais permettez-moi de vous faire observer qu’en faisant de Jamioul votre fondé de pouvoirs, vous nuisez au prestige de la gérance.

Une malice pétilla dans l’œil de Marescot.

— Poncelet, ricana-t-il, je vous vois venir, vous voudriez donner à supposer que l’argent de papa Marescot sort de la caisse ? Hein ! pas vrai ? Mais, sac à papier, il ne me convient pas de payer pour des Tombeux ni les autres. Mon argent est à moi, et puisque je le donne, j’entends qu’on sache que la boutique n’y est pour rien.

Avec le compère, rien ne servait de ratiociner : il fallait toujours qu’il eût le dernier mot. Poncelet, qui de longue date connaissait son opiniâtreté en toute chose, n’essaya pas de le contrarier ; il se remit à fouiller dans ses paperasses en disant seulement :

— Voyons, ne vous fâchez pas : ce sera comme vous voudrez.