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lui. Et, se rappelant la réputation d’homme endetté qui avait accompagné son arrivée au Culot, elle conclut qu’il détournait les fonds pour se libérer vis-à-vis de ses créanciers.



XXV



Depuis que Jacques n’était plus là, elle s’était fait une vie lâche, traînant de chaise en chaise, dans le désordre et la saleté du ménage à l’abandon. Quand l’envie de jacasser aux boutiques ou de papoter chez les voisins la prenait, elle plantait l’enfant dans son berceau, tirait la porte sur ses talons, puis, sans plus de souci de la pauvrette, gouapait de seuil en seuil. Mélie, à ce genre d’existence, avait pris une résignation extraordinaire ; elle ne pleurait pas, presque habituée à son esseulement de petite créature oubliée dans le vide du logis. Pendant des heures, un suçon suffisait à l’amuser ; elle tirait dessus à pleines gencives, mouillant de ses salives la loque, à mesure que celle-ci se séchait ; et le reste du temps, elle jouait avec ses doigts de pied, mangeait ses menus poings, chipotait voluptueusement ses cacas.

L’impossibilité de rigoler navrait surtout la Rinette. Que Huriaux eût manqué crever, qu’il râlât dans un lit d’hôpital, elle en avait eu dans le premier moment un saisissement : si dépravée qu’elle fût, l’événement avait remué en elle un vieux compagnonnage. Mais maintenant qu’un peu de temps avait passé sur son veuvage, elle s’en accommodait, prisait même cette absolue liberté que plus rien ne gênaît et qui laissait à sa merci son temps et son lit. Par malheur, les chaînes lui tombaient des mains et des pieds juste au moment où elle pouvait le moins en profiter. Plus décheuse que jamais, sans presque un rond de cuivre dans ses tiroirs, elle avait dû emprunter chez la Zébédé. La cousine d’abord s’était fait tirer l’oreille, finalement lui avait avancé deux écus de cinq francs ; mais, son argent parti, la vieille l’avait suivi de près aux Fanfares.