Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/273

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qu’un ébranla la cloche pendue à l’entrée. Presque aussitôt un silence énorme se fit dans cette mer humaine, comme si tout le monde suivait en ses vibrations à travers l’espace ce son du métal qui allait porter à la gérance l’appel et l’âme d’une multitude.

Luchon lâcha son râteau, demanda quoi.

— Va-t’en dire à m’sieu Poncelet qu’il y a là dix hommes pour lui parler. Dix, pon un d’pus.

La Jambe-de-Bois, qui avait peut-être reçu des ordres, fut aperçu, la minute suivante, claudiquant dans la direction des bureaux. Au bout d’un petit temps il reparut, accompagné de l’ingénieur-régisseur et de Jamioul. Une acclamation monta des poitrines :

— Vive Jamioul !

Devant cette sympathie si résolument affirmée, l’autre ingénieur s’effaça. Alors Jamioul, très surexcité lui-même depuis le début de la grève, s’avança, et d’une voix saccadée :

— Mes amis, vous comprenez qu’il est impossible à la gérance de s’entretenir avec vous tous. J’accepte donc en son nom l’offre qui vient de lui être faite, de laisser entrer une dizaine d’entre vous.

Une nouvelle acclamation partit de la foule ; puis les anciens pénétrèrent dans la cour et furent escortés par les deux ingénieurs jusqu’au cabinet de la direction. Poncelet, debout derrière un bureau, les attendait en mâchonnant fiévreusement son cigare. Quand, à la file, se cognant l’un l’autre de gauches coups d’épaules, ils furent entrés avec de petits saluts gênés, il les interpella :

— Eh bien ! mes enfants, voyons, que voulez-vous ?

— Not’ maître, parla Félicien-Polydore-Eusébe Painvin, un chaudronnier qui, pendant tout un demi-siècle avait travaillé à Happe-Chair, les camarades nous envoient rapport à l’affaire. On voudrait reprindre le travail, là, ouais, to d’suite, mais faudrait rendre nos quarts.

Il tortillait sa casquette dans ses doigts, s’animant maintenant au son de ses paroles, après être demeuré un instant à tousser dans la paume de sa main en cherchant ses mots.

— Il a raison, Painvin, déclara le marteleur Grogneau, un Tournaisien celui-là. V’là c’que les camarades i’ demandions. Et i disions