Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/301

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Happe-Chair, dans les soifs d’amour morbide, les ruées affolées de cet éphèbe brutalement caressant et qui était toujours pendu à sa peau. Et elle le dépravait, le détraquait de son large appétit de femelle enfiévrée d’alcool, avec une férocité lascive, s’amusant de ses joues blêmes où s’étaient creusés deux trous et des râles rauques qui lui secouaient la poitrine.

Gustave habitait chez ses parents ; mais les nuits que Huriaux était à l’usine, il se laissait glisser par la fenêtre, filait d’un trait aux Fanfares, jusqu’au matin buvait la mort sur la gorge de sa terrible maîtresse. Jacques, d’ailleurs, laissait à présent la libre disposition de son lit à la Rinette ; il avait emporté au grenier un des deux matelas, sur lequel il couchait à même le plancher. Et petit à petit le manœuvre, les moelles toujours fouettées d’un désir qui ne le lâchait plus, prit l’habitude de venir chaque nuit, même quand Jacques dormait là-haut. Il flânait par la rue jusqu’au signal convenu, par moment collant l’œil aux fenêtres et regardant s’attarder à l’intérieur du café des hommes au visage allumé, tous concupiscents de cette grosse chair soufflée de la Rinette. C’était à peu près le seul monde qu’elle eût encore. Depuis que Gaudot, le Lapin et Miche avaient été condamnés à l’amende pour tapage nocturne et bris de meubles, une ligue s’était formée ; on s’entendait pour aller partout excepté là ; et la maison avait pris un air de lieu mal famé qui n’attirait plus que des individus aux allures louches.

Une nuit, Huriaux demi-endormi, rongé par des ennuis, crut remarquer que des voix partaient d’en bas. Il ouvrit doucement la porte et prêta l’oreille. Clarinette parlait avec quelqu’un ; des rires étouffés montaient par l’escalier ; il eut tout à coup l’idée qu’un homme était là près d’elle, dans la chambre où dormait sa Mélie. Ses oreilles bourdonnèrent, il n’entendit plus que la grosse rumeur sourde de son sang battant ses artères. Il descendit quelques marches, puis s’arrêta pour se remettre, tout le corps secoué d’un grand tremblement. Et de nouveau, à travers le ronflement de grosse mouche qu’il avait dans la tête, il perçut un bruit de paroles, une gaieté qui s’échappait du rez-de-chaussée. Alors il ne douta plus. Il se rua à travers l’escalier, soufflant comme un bœuf, enfonça d’une pesée d’épaules la porte, vit dans le noir de la