Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/304

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tave à travers leur fuite dans la nuit. Ils couraient l’un et l’autre maintenant devant eux, avec le battement mou de leurs talons sur le pavé, n’ayant qu’une idée, échapper à la curiosité du village, trouver un coin où se cacher en attendant un secours. Dans la pâleur bleue de minuit, leur nudité faisait un trou clair ; la Rinette, ses cuisses découvertes, avec un lambeau de chemise dont elle se cachait la gorge, avait l’air d’offrir au Culot entier ses flancs ; et les minces jambes sèches de l’adolescent, les grosses jambes charnues de la femme s’activaient comme en une débandade honteuse de masques surpris pendant une débauche nocturne.

Tout à coup les portes claquèrent. Patraque était allé réveiller deux de ses logeurs ; et à trois ils se ruaient dans la rue, pieds nus, leurs braies passées en hâte. Rentré du bois depuis une demi-heure, Créquion venait de se couler au lit quand le chahut avait éclaté. D’abord il avait cru cette fois que Huriaux massacrait sa femme pour de bon : et brusquement il avait vu rouler sur le pavé comme deux boules de chair. Suivi de ses chambrelans, à présent, il filait à la poursuite de ce gibier humain. Mais d’autres avaient eu la même pensée, remués d’une gaieté sale à la vue de cette chair nue qui battait la nuit. Ceux-là aussi s’étaient jetés à la rue, et tous ensemble ils couraient, fouillaient du regard les ruelles, raccolant en chemin les garçons du brasseur qui achevaient un brassin. C’était petit à petit comme une descente du village dans une chasse à la bête, une traque de chien enragé. On étouffait les voix pour mieux les dépister ; mais tout de même les rires partaient ; on rigolait à l’idée de tomber sur eux. Le Lapin, qui habitait à trois pas des Fanfares et qui était arrivé un des premiers, haletait, repris par son désir. Soudainement le misérable couple, à bout de souffle, accroupi derrière une haie, entendit le bruit d’une galopée dans l’ombre. La rumeur croissait, s’approchait, un bourdonnement de paroles, une joie qui fusait. Rinette eut tout de suite l’idée qu’on s’était mis à leurs trousses, qu’une foule allait lui passer sur le ventre. Elle ne pensa plus qu’à elle, se lança dans la direction de la maison de la Ronche, talonnée d’une colique folle, les jambes comme sciées à ras des chevilles. La minute précédente, ils s’étaient concertés ; elle irait demander à cette femme un jupon et un châle,