Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/312

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Comme une fermentation à la surface d’un cloaque, ce bouillonnement de leur vie roulée à l’égout remua pendant quelques jours les curiosités du village. Huriaux, mis au courant, fut effrayé de les savoir si près de lui. Un instant il eut l’idée de porter plainte contre l’adultère ; mais son apathie reprit le dessus ; il se donna du temps en remettant d’agir plus tard si elle l’inquiétait.

On était en août. Les grandes chaleurs de l’an dernier étaient revenues ; le soleil incendiait les rues du Culot, les cours de Happe-Chair et là-haut, les plateaux roux qui menaient au Saut-du-Leu. À la tombée du soir, Jacques allait prendre Mélie chez les Simonard. Tantôt la portant dans ses bras, tantôt la faisant marcher à petits pas, un foulard passé sous les bras de l’enfant pour la soutenir, il gravissait la montée. L’énorme coulée des flammes vespérales envermeillait autour de lui l’espace, et dans le floconnement des nuées roses, par-dessus les tourbillons poudreux montés des blés mûrs, il entendait grisoller l’alouette. Une vieille habitude, comme une douceur de souffrir dans le regret des bonnes heures du passé, le ramenait là presque chaque jour.

Tandis que Mélie, son petit ventre nu dans les mousses chaudes, s’amusait à émietter de la terre entre ses doigts, arrachait les herbes à pleines poignées ou tendait ses menottes aux vols lourds des grosses mouches, il regardait s’allumer les feux de l’usine dans les ombres grandissantes du crépuscule. À ses pieds le monstrueux gueulard flambait toujours comme une torche, la ligne des fours à coke se couronnait de ses rouges spirales, le laminoir ouvrait, pareilles à des trous de soleil, ses profondes embrasures sur la combustion des houilles et l’effroyable carburation des fontes. Et, l’esprit ramené en arrière, il songeait que, tous les soirs, pendant tout un temps, ils étaient venus là à deux, qu’ils s’étaient attardés à la même place, sous les mêmes pâles étoiles, rêvant de la joie d’être ensemble. Ils n’étaient point mariés encore : s’ils s’étaient quittés alors, il n’y aurait eu peut-être pour l’un et pour l’autre qu’un heureux souvenir à revoir l’endroit où ils avaient commencé à s’aimer. Car ils s’aimaient dans ce lointain de leur vie, ils avaient cru s’aimer du moins ; c’était dans un champ tout proche qu’elle s’était donnée pour la première fois. Maintenant, de tout ce passé