Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/39

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Le médecin commença les pansements. Il lava d’abord la plaie à l’eau phéniquée, étendit de l’étoupe sur les chairs, appliqua un léger bandage. Lerminia se laissait faire, le torse ramassé dans les draps, observant avec curiosité les allées et venues du praticien autour de sa jambe, sans souffler mot.

Malardié fit ensuite ses dernières recommandations aux deux sœurs : il ne prévoyait pas que la situation changerait sensiblement avant le lendemain ; très probablement même, un repos surviendrait, une détente qui rendrait la nuit passable. Et en effet, Lerminia eut quelques heures de lourd sommeil, après ce terrible ébranlement du jour, ne se rappela pas tout d’abord à son réveil pourquoi on l’avait mis à l’infirmerie, dans cette grande salle aux murs blancs, où le matin tamisé par les stores semblait dessiner de vagues formes sous le drap des lits ; mais, soudainement aiguillé d’un élancement violent à la jambe, il lâcha une kyrielle de jurons qui firent sursauter sur sa chaise sœur Angélina, à l’autre bout de la pièce.

Malardié arriva sur ces entrefaites et renouvela le pansement. Puis des vomissements se déclarèrent l’après-midi, d’abord intermittents, et, vers le soir, reprirent avec violence, lui coupant la respiration et l’affaiblissant considérablement. On avait permis à Clarinette de s’asseoir auprès du lit ; elle était demeurée là environ une heure, sans rien dire, gênée par la surveillance des deux sœurs. Au bout de l’heure, elle s’était levée, avait dit : « Bonsoir, papa, » et il avait répondu « bonsoir, » sans que presque aucune autre parole eût été échangée entre eux. Cependant sa présence d’esprit ne le quittait pas encore. L’ingénieur Jamioul étant venu le voir, il lui avait conté l’accident, mettant tout sur le compte de sa chienne de chance, comme d’habitude, et il s’était préoccupé surtout de sa pension de retraite, flairant, en outre, une grosse indemnité derrière ce malheur qui lui arrivait.

À la tombée de la nuit, Malardié, qui suivait avec attention les progrès du mal, lui fit avaler une potion opiacée, et il dormit jusqu’à l’aube, assommé par le narcotique. Les sœurs remarquèrent alors une forte altération dans la face : la chair, naturellement régrédillée et sèche comme du vieux cuir, s’était