Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/65

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s’étaient abattus sur la maison toute chaude encore du mort : et Clarinette, pâle de colère, courait par les chambres, recommençant le compte des objets volés, avec des invectives contre cette mère qui la dépouillait :

— L’molin à café, l’marmite à cuire el cabolée, et tô, elle a tô pris, la sale crapule ! J’la vouleu pu pou m’mère ! J’seu pu sa fille ! La rosse ! J’crache dessus !

Dès le lendemain de l’enterrement, Clarinette avait repris le travail à l’usine, le règlement n’accordant que vingt-quatre heures pour pleurer les morts. Tous les matins, sa musette à la main, elle quittait les vieux Lerminia, blanche de peau et de linge, avec cette coquetterie de jolie fille qu’elle n’avait jamais résignée. Le corsage étoilé d’une grosse rose, cueillie par-dessus une haie ou mendiée au passage avec une agacerie de l’œil, elle allait, se balançant sur ses hanches, à travers le froissement des grands blés bordant le sentier, quelquefois accostée en chemin par un gars en bourgeron bleu pâle et qui démarrait, lui aussi, pour la turbine.

Cependant, depuis ses idées de mariage, elle tenait les hommes à distance, les rembarrait d’un haussement d’épaules quand ils bêtisaient, avec une lippe dédaigneuse de fille qui a son idée et rêve d’une grasse vie, toujours nippée à neuf, du linge dans les armoires, un chapeau à fanfioles pour les dimanches sur la tête. Maintenant surtout qu’elle était seule, sans père ni mère, ce désir la tentalisait. Quelquefois, en pleine besogne, elle s’arrêtait, les mains inoccupées, regardant de ses yeux fixes, dilatés dans le vide, marcher devant elle une petite femme que tout le monde jalousait et qui était elle-même. Au fond cependant le silence de Jacques l’inquiétait : il en prenait vraiment trop à son aise ; et la nuit, dans le lit, elle consultait ses cartes, les rois, les reines et les valets étalés sur les draps. Mais les cartes ne lui disant rien, un matin elle partit consulter à deux lieues du Culot une vieille maugrabine qui passait pour jeter des sorts et disait la bonne aventure. La sorcière lui fit le grand jeu pour deux francs, versa du marc de café à terre, amena finalement une réussite ; elle aurait son homme, grâce à l’enfant qu’elle portait en elle. Toute pâle, secouée d’une grande émotion. Clarinette se souvint alors du conseil de Zébédé. Elle eut