Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/80

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vesse-de-loup, et rasé de frais, la peau luisante de savonnée, avec un col et des poignets de toile très blancs, il tirait l’œil par sa bonne mine. Le reste de la noce, pour se mettre à l’unisson, avait exhibé des fonds de garde-robe qui ne sortaient que pour les galas, la cousine Zébédé en robe de laine vert olive, un bonnet à rubans jaunes sur son chignon gris, la Philomène en soie punaise et bonnet bleu, Zoé Piéfert en soie noire, avec de longs pendants d’or aux oreilles. Quant aux hommes, ils arboraient des blouses indigo, froncées à la poitrine et tuyautées derrière en godrons, des redingotes pâlies aux omoplates, de larges pantalons de velours ou de moskova pileux, des casquettes boulantes en dôme. Chacun donnant le bras à sa chacune, Capitte le cyclope et Zénon Zinque, tous deux célibataires, marchaient derrière, les mains dans les poches. À cause d’un inventaire à l’usine, on avait eu assez facilement des permissions de chômage.

À l’église, après la cérémonie, il fallut passer entre deux rangées de maritornes et de gaguis, venues là dans le dépoitraillé du saut du lit, avec leur marmaille roupilleuse et mal ébrenée. Le repas étant pour midi, on se répandit dans les cafés, à l’exception de Zébédé, chez qui la bâfre devait avoir lieu et qui s’en retourna frigousser. Des femmes s’étaient adjointes aux dames d’honneur, Silénie Leurquin, la femme de l’enfourneur de coke, un cotret à deux jambes, rechignée, la balèvre repoussée par une surdent, traînant après elle ses trois derniers nés, tous en bas âge, et qui, très pauvre, avec une éternelle boulimie qui la rongeait jour et nuit, était venue, en caraco de cotonnette, attirée par l’espoir d’une gogaille ; puis Flavienne, la fille au chaudronnier Lambilotte, une grande gaffe chaude, à nez de perroquet, qui n’avait pas trouvé à se marier malgré ses folles envies d’homme et que les lurons s’amusaient à leurrer de promesses, la pinçant au gras des côtes, toute rouge et les paupières battantes.

Clarinette avait voulu traiter convenablement son monde : c’était elle qui avait composé le menu, un quartier de viande rôtie avec pommes de terre et carottes, d’abondantes tranches de jambon, une profusion de tartes et de la bière à discrétion. Mais la vieille cousine s’était chargée des emplettes, et naturellement