Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/95

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prendre leur bain, les gourmades constantes auxquelles elle avait été en butte chez son père, pourquoi la Félicité était allée vivre seule avec le fils de Cigognier, enfin sa connaissance avec Huriaux, sans omettre l’étourdissement qui, un jour, les avait côte à côte jetés dans les blés. Il ne lui était pas possible de garder un secret, même dans les affaires d’où sa considération dépendait, mettant un entrain d’impudeur à se déshabiller devant le monde, étalant les plaies de son existence avec une dépravation tranquille. Et, de son côté, Flipine ne demeura pas en reste de confidences : elle avait longtemps fréquenté « avec » un garçon boucher qui, après lui avoir promis le mariage, finalement l’avait plantée là, pour retourner dans son pays, quelque part en France, très loin. Depuis, elle en avait connu d’autres, mais aucun ne valait ce premier mâle, un beau gars avec des poings comme des marteaux. Elle avait fait son apprentissage à la ville, chez une grande couturière, une veuve qui recevait des vieux messieurs et qui l’avait renvoyée parce que l’un d’entre eux ayant voulu la caresser, elle s’était mise à pousser des cris. On est bête à treize ans : tout l’atelier ne l’était pas autant : elle se rappelait des petites dont les robes changeaient toujours. Quelquefois à présent, elle allait travailler dans les familles, à la ville ; le soir, avec une amie et son galant, on partait entendre au café-concert des machines comiques, chantées par des femmes décolletées.

Les commérages allaient ainsi leur train, alternés de petites lichées d’eau-de-vie ; souvent demi-grisées, elles passaient le temps à jouer aux cartes. Huriaux, lui, trouvait en rentrant la maison nette, chaque chose à sa place, sans aucune trace qui lui révélât le passage de la tailleuse.

Au bout de la huitaine, le dégel enfin fondit les neiges du plateau qui, sur toute son étendue, s’englua d’une boue molle, profonde, où les jambes s’empêtraient ; alors Clarinette n’y tint plus, se sentit le besoin de voir du monde. Toute légère, au sortir de sa morne hibernation, elle s’envola au Culot, sa robe retroussée par dessus son jupon de tiretaine, un gros parapluie à armature de cuivre sous le bras. La journée se passa en visites chez Zoé Piéfert, Philomène Simonard et la cousine Zébédé, prenant le café chez