Aller au contenu

Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le compère eut une moue de surprise. Comment ! elle hésitait ! mais ça valait 350 francs au bas mot, et il palpait l’oreiller, poussait le lit sur ses roulettes, tout à coup se jeta sur le matelas qui enfonça sous le poids, lui offrant de se mettre à côté de lui pour juger de l’élasticité. C’est égal, elle n’était pas décidée ; elle repasserait dans quelques jours ; on en recauserait. Sur le point de s’en aller, elle tendit la main à Ginginet qui la serra fortement, comme à une ancienne connaissance, chuchotant dans un éternel sourire qu’il espérait bien la revoir. Comme elle tournait les talons, le patron de La Confiance la rattrapa, lui coula un cahier de papier dans la main, l’air paterne :

— C’est le petit compte, mame Huriaux. Un acompte me ferait plaisir.

Elle se rappela que depuis une semaine le tiroir était vide, le dernier argent ayant passé aux mains du boucher, qui avait menacé de couper le crédit ; et elle demeurait devant lui, interloquée, à chiffonner le cahier, les sourcils remontés par le saisissement.

— M’sieu Malchair, à combien qu’ça va, vot’note ? demanda-t-elle à la fin.

Il lui reprit le cahier des mains, lui établit une comptabilité à laquelle elle ne comprit rien, si ce n’est qu’elle lui devait plus de 250 francs, presque un mois des journées de son homme ! Jamais elle n’aurait cru sa dette montée à une telle somme ; et elle lui reparla de ses payements antérieurs. Deux fois le mois elle lui remettait la moitié de la quinzaine de Jacques, à peu près 50 francs, et l’avant-dernier mois, elle lui en avait remis 150.

Il n’en disconvenait pas, lui montrait à l’avoir le total des versements, mais rien qu’en épiceries, elle avait fait, depuis les six derniers mois, pour 300 francs d’achats, et son compte de bonbonaille s’élevait à 70 francs 65 centimes. Puis il y avait eu le chapeau, le châle, toute la toilette de noce ; et un doigt posé sur les chiffres, il lui détaillait chaque poste avec complaisance, la face fendue d’un large sourire aimable, allant d’une colonne à l’autre, le long des dix feuillets noirs d’écriture. Elle était atterrée, sans une parole sous cet écroulement de chiffres, ne sachant comment s’y prendre pour lui demander un délai nouveau. Lui la couvait de