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l’hallali

suivait d’une admiration émerveillée les mouvements de sa bouche, ne comprenant pas ce que les mots exprimaient, mais leur prêtant un sens conjectural en correspondance avec son âme puérile.

Comme tout de même, chez cette petite ignorante de tout, les sensations étaient fraîches et confuses, il lui arrivait de pleurer ou de rire à rebours du texte. Aussitôt Sybille sèchement réprimait ces incartades qui dérangeaient le plaisir qu’elle-même prenait à cette lecture. Peu sentimentale, le monde lui offrait des aspects de forces en conflit. Le charme tendre de la vie, pour cette amazone vierge, était dominé par le penchant à l’action, à la vie active et violente. Aux côtés d’un homme énergique, elle eût fait un métier viril et le cheval, la chasse, le commandement dans un haut rang l’auraient passionnée. Son roman se fût égalé à l’héroïne de sa race, à cette Angéline-Sigisberte-Clotilde de Quevauquant qui tenait tête aux sans-culottes. Au lieu de cela, la misère de leur condition la confinait en des besognes rurales et ménagères sans intérêt pour elle. La beauté valeureuse des Dianes chasseresses et guerrières finissait dans le geste obscur dont pauvrement elle s’efforçait de boucher les trous par où avait fui la grandesse des Quevauquant. Du moins, les exploits du livre