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à sa tante Élisabeth, tous deux célibataires, et qui habitaient ensemble un des grands hôtels du faubourg. C’étaient, ceux-là, dans leur sommeil et leur isolement de vieilles gens riches, comme le Saint-Sacrement visible de la famille : la race des Lanquesaing, mi-gentilshommes et mi-robins, se glorifiait et s’adulait dans le culte d’idole dont on choyait la sénilité puérile et pimpante du frère, tout frêle sous sa perruque de cheveux blonds frisés, et la belle graisse massive de la sœur, pareille au pilier d’or de la maison.

Jumasse, le troisième jour après Pâques, accrocha donc la vieille jument borgne à l’antique berline dont un simple brancard avait remplacé le timon. Le coffre fut chargé à l’arrière de la voiture avec la caisse à chapeaux et le carton à bonnets. Barbe emportait une robe de soie puce qu’elle possédait depuis quinze ans, mais que Sybille, aidée de la Guilleminette, élargissait chaque année en recourant à des subterfuges variés. C’était sa robe de gala : en l’économisant, elle comptait bien la faire servir encore pour le mariage de sa fille. Il avait fallu aussi rafraîchir une ancienne robe de celle-ci : avec un louis de velours et de soie, on l’avait rendue présentable ; mais Jean-Norbert ne s’était pas décidé sans peine à bailler l’argent nécessaire. Ces départs qui les obligeaient à un peu de dépense étaient