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LIV’HALLALI

une vie de nature soudain respira dans ce maigre corps impudique qui, la gorge en l’air et les genoux à nu, baignait dans l’ondée de soleil. Celle-là, dans le sang de la famille, était bien le filet de sève verte venue des Bœuf, gens de la terre, bouviers, estivandiers, laboureurs et coureurs de bois. À l’arrosée chaude filtrant d’entre les feuilles, elle ferma les yeux, soupira et s’endormit. La vache, d’ailleurs, l’insouciait : elle saurait bien la retrouver au son de sa clarine, broutant quelque part le fin gramen parfumé. Maintenant, le petit hérisson était loin.

C’était, cela, les meilleurs heures de Jaja, ne rien faire, mener la vie sauvage et dormir au giron de la terre. Une douceur, avec la clarté, le vent, l’ombre, lui coulait par les membres : la tête dans l’herbe, elle goûtait la grosse sensualité vautrée des ruminants. Au réveil, il lui arrivait de suivre à la piste jusqu’au gîte la fouine, la belette, le mulot, le lapin, mais sans idée de leur faire mal, pour le simple plaisir de se sentir mêlée à cette gaîté agile de la terre. Ou bien, elle se faisait des couronnes avec les festons du lierre courant aux arbres et les grappes poivrées du chèvrefeuille. Elle suçait le jus des petites fraises aigrelettes et des mûres sucrées. Quelquefois, elle imitait le cri rauque du héron dans les marais.