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l’hallali

elle était brune, couleur des labours, et qu’avec l’âge et la famine, sa taille s’était rapetissée, il semblait flotter aux plis d’un froc trop large. Tout cassé, un poil gris et ras comme une mousse sur le crâne, passant les plats avec ses énormes mains de valet de campagne, il avait l’air d’une des ombres de Pont-à-Leu sortie des ruines et servant un repas d’ombres.

Les deux lapins à la broche varièrent leur ordinaire grossier de pommes de terre à l’oing de porc. La grande faim séculaire des Quevauquant reperça dans le coup de dent que la famille imprima dans cette chair tendre, odorant le serpolet. Chacun se taisant, on n’entendait que le broiement des os entre les mâchoires, les soupirs de la mère, le souffle court du père et au dehors, le cri d’une hulotte ; il y en avait plusieurs ménages dans les toits.

Une légère querelle, vers la fin, s’éleva entre Jaja et Michel ; tous deux se disputaient une dernière bouchée de carcasse. Ce fut Sybille qui se priva pour leur passer un morceau du râble qui lui restait sur l’assiette. Un des deux lapins avait presque entièrement disparu aux canines de l’aïeul.

Tout à coup, tandis que Jumasse déposait sur la table le plat de pommes de terre fumantes, une lueur rouge s’encadra dans les vitres des