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l’hallali

fusée à passer devant cette pièce. Eux, les petits, regardaient par les fentes et ne voyaient rien. Mais de savoir que deux frères s’étaient entre-tués là pour une des femmes de la maison, il leur en passait des frissons froids à l’échine.

Un malin, Monsieur se mit à lamper de grandes potées d’eau et à s’appliquer des quartiers de beurre frais sur les jambes et les bras. Il continuait à refuser toute nourriture. Pareil aux vieux arbres vivant par l’écorce, son corps semblait s’alimenter de ses réserves indestructibles. Ce fut un saisissement quand un midi, on l’entendit emboucher la trompe par la fenêtre. L’hallali, sonné du souffle des grands jours, ronfla, ricocha en échos contre les murs de la métairie. Mais cette fois, à l’accent de bravade et de défi qui précipitait les notes, il sembla que le cuivre héroïque sonnât la victoire du cerf sur la meute plutôt que sa défaite. Jean-Norbert sentit une chaleur lui passer au cœur en se rappelant la légende du trisaïeul. La trompe se tut et Monsieur entrait se tailler dans la cuisine d’énormes chanteaux de pain qu’il engloutissait, d’une faim terrible.

Les apophyses, comme des clous, lui perçant sous la peau, il eut l’air de sortir de sa bière : on lui voyait les blocs de pain descendre comme des cailloux dans le gosier. À peine il eut fini, il prit