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Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/134

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cri au loin, un chien hurlait, et le silence, comme une porte qui se referme sur du bruit, retombait à travers l’espace.

Un instant la lune sortit des nuages et éclaira de sa lumière blafarde cette grande plaine sanglante. Des scintillements étranges passèrent sur la surface du sol. Des canons de fusil reluisaient ; des pointes de casques brillaient ; une sorte de moire argentée blanchissait le ventre ballonné des chevaux morts ; et le fer, le cuivre, l’acier s’allumaient d’étincelles. Au loin, des huttes en paille ressemblaient à des suaires debout.

Il semblait que les morts allaient sortir de terre et que la grande revue dût commencer comme dans la ballade.

Mais minuit n’était pas sonné et les chefs manquaient à l’appel.

Un jour, quand Bonaparte[1] et Guillaume ne seront plus que des ombres, ils viendront à minuit dans la plaine et ils compteront ceux qui sont morts pour l’un et ceux qui sont morts pour l’autre.

  1. Ceci a été écrit en 1870.