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Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/174

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jeu et conjecturaient. Il arrivait qu’un des deux partenaires ou quelqu’un de la galerie prononçait par moments le nom d’une des positions occupées soit par les Français, soit par l’ennemi.

Deux officiers prussiens, très élégants, ayant aux mains des bagues et de grosses chaînes d’or sur la poitrine, s’approchèrent subitement, et bien qu’il y eût ailleurs des tables libres, voulurent absolument occuper la table qui joignait celle des joueurs. Par malheur, l’un d’eux était très gros et haut de deux mètres. Sans crier gare ni faire d’excuses, le colosse se jeta comme un boulet entre les tables, renversa deux chopes et bouscula à demi le jeu.

Je verrai toujours l’éclair qui enflamma le regard des français ; le colonel se leva tout debout, blême et la bouche serrée, toisa les intrus, secoua ses épaules en signe de dédain et tout à coup maître de lui, se rassit en éclatant de rire.

Les deux allemands, visiblement gênés, se mirent à boire du champagne en rejetant de notre côté des bouffées de fumée, et le lorgnon à l’œil, le poing sous le menton, ils se