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Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/183

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Les trois malheureux paysans avaient été chassés de chez eux et ils étaient demeurés une semaine, à peu près sans manger ou rognant des rogatons, broutant des verdures, se nourrissant au hasard des tas.

Un homme riche et généreux les ayant vus rôder sans abri dans les rues de Sedan, les avait conduits à l’hôtel et les avait fait dîner. Lentement leur face livide s’éclairait, les pommettes rougirent, et ils parlèrent.

Dans un coin une vieille dame en bonnet, l’air digne comme les belles figures pâles des matrones de Van Eyck, touchait à peine aux morceaux et chiffonnait dans sa main un mouchoir qu’elle passait parfois sur ses yeux rougis. Un grand jeune homme, assis près d’elle, lui parlait à voix basse, et avec une tendre brusquerie, la forçait à manger.

En face de nous un petit monsieur rondelet picorait avec vigilance dans son assiette et lia conversation dès le potage.

— Voilà dix ans, messieurs, nous dit-il componctueusement, que je dîne ici tous les jours, y compris les dimanches et les jours fériés, et je n’ai jamais eu moins de trois plats de