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Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/226

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montait à la tête et j’avais envie de crier avec eux : Du pain ! du pain !

Des cris s’élevèrent tout à coup au milieu du camp ; beaucoup de soldats se précipitèrent du côté d’où venaient ces cris. J’allais m’élancer avec les autres quand quelqu’un me tira par la manche et me dit :

— N’y allez pas. C’est peut-être un signal.

C’était mon fæhnrich.

À peine avait-il parlé que je vis les artilleurs mettre la main sur leurs canons, la tête tournée du côté des officiers. En même temps les fusiliers couchèrent en joue et les sentinelles se replièrent sur les postes.

Ce n’était qu’une alerte. Un jeune et blême lignard venait de tirer clandestinement un biscuit de sa poche et le croquait en le cachant sous ses aisselles. Un turco avait voulu l’arracher de ses mains ; mais le gaillard avait avalé si goulûment le biscuit qu’il avait été forcé de se l’enfoncer avec trois doigts pour le faire passer au gosier.

— Cochon ! criait le turco à tue-tête. Donne-moi du biscuit.

Une bousculade s’en était suivie.