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Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/253

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— Allez vite, major, disait-il. Je sens que je vas battre la breloque !

Il mordait sa moustache, blanc comme un mort et les yeux hors de tête. Il tenait lui-même à deux mains sa jambe et hurlait par moments d’une voix grelottante un hou ! qui vous faisait sentir la scie dans votre propre dos.

— C’est fini, mon vieux loup, dit le chirurgien en abattant le second moignon.

— Bonsoir, dit le zouave.

Et il s’évanouit.

Les blessés étaient tellement pressés l’un contre l’autre que la ronde pouvait à peine passer entre les grabats. Ils se retournaient en tous sens sur leurs couches et demandaient la mort. D’horribles contorsions nouaient sous les couvertures leurs pauvres corps mutilés. On en voyait qui, dans l’excès de la douleur, arrachaient leurs bandages, et d’autres, à force de s’agiter, roulaient sur les dalles ensanglantées. Ils entraient tout à coup en fureur, frappaient des poings leurs membres coupés, hurlaient, bavaient, se mettaient debout et puis retombaient en mordant à pleines dents la paille où ils étaient couchés.