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Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/261

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par la roue des canons trouaient la terre de sillons entrecroisés. Des planches et des billots juxtaposés plaquaient dans les boues aux endroits les plus détrempés : vraisemblablement les canons avaient posé dessus, à sec.

Je découvris près d’un petit bois dont la haie était défoncée, une quantité de papiers souillés que la pluie collait à terre. Ô ironie ! C’étaient des papiers à musique annotés de marches, de contre-marches et de pas redoublés. À quelques pas de là, une anche de haut bois gisait parmi des livrets de soldat trempant dans la glaise humide. C’est là que s’était trouvée la musique du 45me de ligne français.

J’attache alors mon cheval à un arbre du bois et je pénètre dans les taillis. Mon pied glisse sur quelque chose de gluant et je tombe sur les mains, en arrière. Une moiteur collante que je sens à la paume et du sang que je vois à mes poignets me font regarder à terre. Je m’aperçois que j’ai glissé sur des débris de cervelles épandues, semblables à de grosses moelles blanches teintées de rouge, et sur des caillots de sang coagulés. J’arrache des feuilles aux arbres et je les roule dans mes mains poisseuses.