Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/227

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dans sa partie que Claes Nikker en avait dans la sienne. Quand Lukas Snip déclarait qu’il n’y avait plus rien à faire d’un gilet, d’une veste ou d’un pantalon, c’est que vraiment il était impossible que quelqu’un pût encore en faire quelque chose. Il se promenait pas mal de fonds de culottes, de manches de vestes, de collets d’habits dans le village, dont Snip était fier à bon droit, sachant bien ce qu’ils lui avaient coûté de besogne ; et en effet lui seul était capable d’y donner un si fier coup d’aiguille. Il travaillait dans sa petite chambre du matin au soir, et continuellement on voyait ses nerveuses mains jaunes aller, courir, passer l’aiguille et tirer le fil avec une vitesse extraordinaire.

C’était un petit homme toussoteux et maigre, un peu courbé. La peau de sa figure, terreuse et ponctuée de porreaux, tendait sur ses joues comme une vitre sur une estampe, et elle était entièrement coupée de menues rides, aussi bien qu’une vieille figue. Il avait en outre une bouche mince qui, pareille à une eau dans un entonnoir, se renfonçait tout au fond du croissant que le bas de sa figure dessinait depuis son nez jusqu’à son menton. Or, Lukas avait perdu à peu près toutes ses dents : c’est pourquoi sa bouche rentrait si fort, ce qui ne l’empêchait pas de tenir dans le coin de droite une petite pipe noire comme du charbon et coiffée d’un chapeau en fil de fer, par crainte des étincelles. Chaque fois qu’il aspirait une bouffée de fumée, ses joues se creusaient de deux trous où l’on eût logé à l’aise une couple d’œufs de pigeon ; au contraire s’il soufflait pour rallumer le feu de sa pipe, ses joues se gonflaient comme le dos d’un chat en colère.

Mais le gaillard n’était pas seulement tailleur : il était aussi barbier ; oui vraiment ; et un plat en cuivre, échancré au bord et creux dans le milieu, se