Voilà ce que vous dit votre mère, mon garçon. Mais c’est un rusé que Claes Nikker et il faut agir prudemment avec lui.
La mère de Piet était une fine mouche, l’œil malin, toujours alerte et gaie, sèche comme un caillou. Elle tenait son ménage avec ordre, rognant un franc centime par centime, et même un peu avare, s’il y a de l’avarice à augmenter chaque jour ses économies ; et elle mettait les siennes dans un vieux bas, sous la paillasse de son lit.
On savait bien au village que Lukas Snip, son mari, n’avait jamais eu plus de deux sous à la fois dans sa poche, mais il ne s’en plaignait pas, le cher homme, et même il était extraordinaire qu’il les dépensât. Il n’allait ni au cabaret, ni au jeu de quilles, ni au tir à la perche, et sa seule distraction était de fumer sa grande pipe en porcelaine près du feu, le dimanche ; c’était une pipe comme on n’en voit pas tous les jours, avec un long fourneau peint de figures roses au bout d’un tuyau mou en soie guillochée d’or. Le vieux papa Jan Snip, qui avait fumé quelque dix ans dedans, l’ayant eue d’un vieux soldat prussien, son parent, l’avait transmise à son fils Lukas en lui recommandant d’en avoir le plus grand soin. C’était dans cette belle pipe que Lukas Snip fumait le dimanche, près de son feu, et quand Lukas n’y sera plus, ses petits-enfants fumeront dedans à leur tour, si d’ici là la pipe ne casse pas, ce qui peut arriver.
Il n’y avait pas d’homme plus habile que ce Lukas pour remettre en état une vieille culotte ou un vieil habit, faire des reprises dans les draps usés, rapiécer les vêtements hors de service, etc. Voilà bientôt quarante ans qu’il était tailleur, et il avait autant de pratiques