Et quand il lui eut fait redescendre l’escalier et qu’ils se trouvèrent dans la rue, M. Muller, rouge, les yeux hors de la tête, lui dit avec des gestes terribles :
— Ah ça ! Lamy, est-ce que vous êtes fou !
— Moi, monsieur Muller ? fit M. Lamy, qui savait très bien pourquoi M. Muller était si monté.
— Oui, vous. Ou si vous ne l’êtes pas, c’est que vous avez juré sans doute de me faire sortir de ma peau. Eh bien, je vous dis que cette conduite n’a pas le sens commun… De quel droit vous êtes-vous permis de payer ce qui ne vous regardait pas ? Vous vous êtes dit : « Laissons le vieux bonhomme de côté : faisons comme s’il n’existait pas ; c’est un radoteur ; il bat la breloque, et il n’est plus même bon à payer pour son ami Jean ; et puis c’est un panier percé ; est-ce que ça peut payer le cercueil et l’église, un vieux grigou comme lui ? Allons donc ! » Voilà ce que vous vous êtes dit. Parbleu ! je le sais bien, moi ; je vous entends d’ici ; croyez-vous que je ne sais pas ce que vous vous êtes dit ? Elle est bonne celle-là. Eh bien, c’est scandaleux ! J’avais mis ma confiance en vous, je vous croyais un ami, je m’étais dit : « Lamy, c’est l’homme qu’il me faut. » Et vous m’avez trahi. Oui, trahi. Qu’est-ce que ça vous fait que je sois un vieux bonhomme, après tout, si ça me plaît d’être un vieux bonhomme ? Est-ce une raison pour me trahir ? Je n’aurais jamais pensé cela de vous, Lamy. Jean est mon ami, il n’a plus de père, plus de mère, personne pour le soutenir, et parce que je veux lui tenir lieu de père, de mère et de tout le monde, vous arrivez, vous, et vous dites : « Pas de ça. Nous allons l’ennuyer un brin. Nous lui montrerons bien qu’il n’est ni le père ni la mère et que nous avons bien autant de droits que lui sur son Jean. Ah ! vous avez des droits ! Vous m’amusez !