comme M. Muller prenait ses livres, selon que ça leur tombait sous les doigts, par l’aile, le bec ou la queue.
Or, parmi les livres de M. Muller, il y en avait de toutes les époques, avec du papier de Hollande vergeté de raies jaunes et sentant le vieux linge, avec des couvertures de veau brunies au dos par l’empreinte des mains et écorchées par les coups d’ongles, avec des tranches rouge vif pâlies au milieu par l’usure et d’où sortaient des bouts de signets recroquevillés ; il y en avait aussi avec des tranches jaspées et dorées, des tranches mouchetées de grains de poivre, des tranches alternées de rouge et de bleu ; oui, il y avait de tout cela, sans compter les anciennes éditions à frontispices gravés où le portrait de l’auteur rit sous les jabots et la perruque, les vieux Mémoires troués à jour par les vers qu’on voit, blancs et ronds, courir entre les pages, des livres d’histoire, de philosophie, de scolastique, de pédagogie, et bien d’autres livres encore.
Tous ces respectables bouquins, débris d’une bibliothèque de grand-père, soulevaient dans l’air, à mesure que M. Muller les remuait, une fine poussière grise qui le faisait éternuer ; et il pensait aux bonnes heures que lui-même et les autres avaient passées en les lisant. Et quelquefois glissaient entre ses doigts des ouvrages rares, cueillis chez les bouquinistes moyennant quelques sous ; et soupçonnant leur valeur, M. Muller se réjouissait de les avoir acquis à si bon marché.
— Ce sera plus tard une bonne fortune pour Jean, disait-il en lui-même.
On entendait dans la chambre le froissement sec des feuilles retournées, un bruit de vieux papier grinçant sous le doigt comme l’ardoise, et M. Muller se sen-