vrai chagrin. Si encore il avait connu l’adresse d’une bonne fée, il lui aurait écrit, en ayant soin de mettre un timbre sur l’enveloppe, pour lui demander où se cachait la Belle ; mais il ne connaissait l’adresse d’aucune fée, et sa marraine ne se pressait point de paraître.
Des jours entiers il demeurait blotti dans le vieux fauteuil près du feu, songeant à toutes ces choses, et il en perdait le sommeil. Jamais on ne vit un petit mari plus inquiet sur le sort de sa petite femme : il eût tout donné pour jouer un bon tour à la vieille fée qui s’était montrée si funeste à la Belle-au Bois ; et il l’avait appelée Carabosse, ne connaissant rien de plus terrible que d’appeler quelqu’un Carabosse.
Mais le soir, quand l’ombre entrait dans la chambre, noircissant les coins et brouillant les meubles l’un avec l’autre, Jean n’osait plus prononcer ce nom redoutable.
Le poêle ronflait comme jamais il n’avait ronflé, et certainement on entendait gratter dans la cheminée. La bouilloire non plus n’était pas dans son état ordinaire : elle crachait, éternuait, sifflait et soufflait avec une mauvaise humeur très marquée.
Ah ! c’était l’heure des mauvaises fées !
Et par la fente du rideau il regardait le ciel rouge et il y voyait traîner la robe de Carabosse, noire et flottante.
Il entendait aussi sa voix cassée : c’était une chose étonnante combien elle ressemblait à celle qui sort des petits chats de bois quand on presse le soufflet et qu’ils tirent leur langue rouge.
Ah ! Carabosse ! Carabosse ! Et la braise qui tombait à travers le gril dans le tiroir du poêle lui faisait voir dans l’ombre, tout à coup éclaboussée de reflets rouges,