Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/192

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Les poules sont couchées, les chevaux broient leur avoine, les porcs fouillent dans l’auge en reniflant du groin les rondelles de betterave, et les vaches clapotent du mufle au fond de la crèche.

Alors Damien Taubert monte à sa chambre et va changer ses habits de travail contre une bonne redingote grise, et Donat fait comme lui.

Pendant dix minutes il n’y a plus personne en bas que Martine qui regarde la flammiche et les deux chats qui regardent Martine, car la meunière est montée aussi pour lisser ses cheveux et passer sa belle robe en mérinos.

Le moment approche : chacun a le cœur content et Donat sent naître en lui le désir de goûter des bonnes choses que sa mère a faites.

Martine et la meunière étendent sur la table la toile cirée à bordures d’or, la belle toile décorée d’un bouquet de fleurs rouges en son milieu, et qu’on met à l’envers en temps ordinaire, pour éviter que le vernis s’écaille ; et sur la toile ensuite on aplatit avec la main une nappe amidonnée qui bosselle comme un plant miné par une taupe. Assiettes, couteaux, fourchettes, salière et poivrier, rien ne manque, et la lampe, dont on a coupé soigneusement la mèche, jette une clarté de fête sur la grande table. Dans l’âtre, le bois flambe en craquant, et une lueur rose empourpre les carreaux de porcelaine, le long du mur.

Les chaises, en noyer poli, à fond de feutre bouton d’or s’alignent encore contre le papier à ramages bleus de la muraille, car le monde n’est pas venu ; et l’on attend aussi Gudule, la sœur de Damien Taubert, qui doit arriver d’Anhée. Sur la cheminée, un miroir encadré d’acajou reflète la table brillante, les assiettes, le quinquet, les chaises qui sont en face et l’alcôve avec ses courtines bien tirées, qui se voit dans le mur, à gauche.