Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’étalage. On voyait les boutiquiers aller et venir avec empressement derrière leur comptoir, en riant, parce que les gros sous pleuvaient ce soir-là dans leur tiroir, et les chalands tapaient leurs sabots à terre pour se réchauffer, en attendant leur tour d’être servis.

La vitrine du marchand de vin était une vraie merveille ; le malin compère avait rangé l’une à côté de l’autre, sur les planches, toute une armée de bouteilles, renfermant de belles liqueurs roses, brunes, jaunes et violettes que la lumière de la lampe faisait miroiter comme des topazes, des rubis, des améthystes et des saphirs. Et sur le trottoir, la neige se colorait de feux qui reflétaient la nuance des liqueurs dans les bouteilles. Près de là, le charcutier avait pendu à sa fenêtre de longs chapelets de saucissons, enguirlandés de fleurs en papier d’or, et de la belle saucisse luisante tournait en rond sur une assiette, à côté d’un grand foie de porc dont le brave homme était en train de couper une tranche.

L’enfant poussa la porte qui se mit à carillonner, et du doigt montra le foie.

— Qu’est-ce que c’est, mon petit bonhomme, lui dit le marchand. Je veux bien vous donner une tranche de foie, mais il faut me la payer.

Et en même temps il frottait plusieurs fois de suite son pouce contre son index pour donner plus de poids à ses paroles.

L’enfant tira de sa poche un de ses sous et le mit sur le comptoir, en passant sa main dessus, de crainte que l’homme ne le prit avant de l’avoir servi. Le grand couteau luisant plongea alors dans le foie et une tranche s’en détacha ; puis le petit mendiant ôta sa main de dessus le sou et s’en alla, emportant sa marchandise. Il avait grand’faim, il mordait dans la