qu’elle se défendît de manger plus que ne mange un poulet d’un mois ; et sa main allait constamment de son assiette à sa bouche. Chaque fois qu’on lui offrait d’un plat, elle disait qu’elle n’y toucherait plus et elle finissait toujours par y revenir.
— Encore ceci, disait-elle. N’est-ce pas trop gros ? Vous verrez que je n’en viendrai pas à bout. Attendez. Voici mon affaire. C’est incroyable comme j’ai tout à fait cessé de manger depuis que je suis si malheureuse.
Madame Peulleke, elle, se livrait à ses distractions familières : elle prenait le pot de marmelade pour le sucrier et y plongeait les doigts ; ou bien elle jetait une amande dans sa tasse, à la place du morceau de sucre qu’elle avait cru y mettre. Elle mangeait très vite par moments et d’autres fois très lentement, la tête sur l’épaule, regardant fixement la lampe. Tout à coup on la voyait se tourner en riant d’un côté ou d’un autre quand personne ne pensait à rire ; et plus souvent elle poussait un gros soupir en croisant les mains et disait :
« — Est-il possible, Jésus Dieu ! » alors qu’il n’y avait pas lieu du tout de soupirer.
Madame Dubois buvait deux tasses de thé, repliait sa serviette après la seconde brioche, immobile, les deux mains croisées sur la table, attendant qu’on eût fini pour se mettre au tricot ou à la broderie qu’elle apportait toujours avec elle. Et quelquefois, joyeuse, ma tante la dévisageait en dessous, le sourcil froncé, pensant en elle-même :
— Je suis sûre qu’elle enrage contre moi.
Mais l’on n’aurait jamais su dire à quoi songeait la grande madame Dubois.
Ah ! c’étaient là de bonnes soirées ! Le poêle ronflait