Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/335

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grosses larmes qui roulaient dans ses yeux, tandis que des sanglots soulevaient sa poitrine. Oui, c’est ce que je pensais, ou du moins c’est ce que j’aurais pensé si j’avais été capable de penser dans ce moment. Mais j’avais les yeux brouillés comme quand la fumée de la bouilloire couvre le verre de mes lunettes, et dans mes larmes je voyais tourner le quinquet, la table, Poussette, Castor, Lisbeth et Clotilde, en rond, ainsi que les carabitjes qu’on fait tourner pour un cens aux tourniquets des kermesses, Stéphane. À présent, je l’aurais embrassée, cette grande Lisbeth, tant elle était elle-même abattue par la force de son émotion. Pensez donc ! Une sœur, votre propre sang, une branche du même arbre, un être dont en est presque l’autre moitié et qu’on n’a plus revu depuis huit ans, qui était comme mort, qui revient tout à coup se jeter dans vos bras et qu’on retrouve si changé qu’il en est à peine reconnaissable, si ce n’est à ce qu’on se sent dans le cœur pour lui ! Voilà l’histoire.

» Et Lisbeth pressait dans ses longues mains blanches, trop longues, la tête de Clotilde et la regardait avec des yeux qui lui entraient jusqu’à l’âme. On eût dit qu’elle demandait sans le demander, à ce pauvre cher cœur du bon Dieu, si confiant, si tendre, si fou, ses peines, ses fautes, ses déceptions, ses angoisses, tant ses yeux clairs pénétraient profondément dans ceux de Clotilde. Et, pendant ce temps, ses sanglots faisaient dans sa gorge le bruit d’une eau qui ne passe pas.

» — Viens que je te voie. Près de la lumière, plus près, disait Clotilde. Ah ! mon cher cœur, que tu es belle ! Tu as toujours été la plus belle, vois-tu, tu es plus belle que tu n’as jamais été.